Réduire les hémorragies du post-partum en République Démocratique du Congo

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Dr Gertrude Musuamba Mutombo est chef de projet pour l'initiative AMPLI-PPHI (Accelerating Measurable Progress and Leveraging Investments for Postpartum Haemorrhage Impact) à la Société Congolaise de Gynécologie et d'Obstétrique (SCOGO). Elle partage son expérience professionnelle pour la lutte contre les hémorragies du post-partum (HPP) en République Démocratique du Congo (RDC) et parle de l’importance de travailler à tous les niveaux du système de santé pour réduire la mortalité maternelle.

Quelle est l’ampleur du problème de la mortalité maternelle et des hémorragies du post-partum en RDC?

La RDC fait partie des huit pays qui contribuent à plus de 50 % de la charge des décès maternels dans le monde. Selon la Banque Mondiale, le ratio de décès maternels en RDC est de 693 pour 100,000 naissances vivantes – et le risque de décès maternel pour une femme au cours de sa vie est de 1 sur 24. De plus, le Bulletin de Surveillance de Décès Maternels, Périnatals et Riposte 2021 en RDC révèle après analyse que 68% des décès maternels étaient dus à l’HPP, 11% aux Infections et 10% à l’éclampsie durant la période couverte.

Nous, Gynécologue-Obstétriciens, sommes au premier plan dans la lutte contre l’HPP parce que c'est nous qui assurons la prise en charge de complications obstétricales au quotidien dans les établissements de soins de santé. Etant donné que le nombre de Gynécologue-Obstétriciens est encore limité en RDC, que la majorité est concentrée dans les grandes villes, et que le nombre de sages-femmes reste faible, il est essentiel de renforcer les aptitudes et les compétences d’autres prestataires de santé, telles que les infirmières, en soins obstétricaux et néonataux d’urgence (SONU) afin de leur permettre d’offrir des services et soins de qualité partout dans le pays sur base des protocoles standardisés de prise en charge.

Quels obstacles existent à la provision de soins obstétricaux d’urgence de qualité?

Les soins obstétricaux d’urgence offerts en cas d’HPP peuvent être de faible qualité pour plusieurs raisons:

  • Nombre insuffisant des prestataires (Obstétriciens, Médecins généralistes, Sages-femmes, Infirmières) formés en soins obstétricaux et néonataux d’urgence
  • Faible disponibilité des médicaments recommandés dans les établissements de soins de santé due à des conditions de conservation inadéquates (ocytocine), une indisponibilité dans le pays (carbetocine thermostable) 
  • Inaccessibilité géographique des hôpitaux/maternités de référence, avec un système ambulancier mal organisé menant à des retards dans le transport de femmes et dans la prise en charge des complications
  • Manque de ressources essentielles, notamment du sang pour effectuer des transfusions
  • Inaccessibilité financière aux soins de santé de qualité pour les ménages à très faible ressource.

Ainsi, étant donné que la prise en charge est tardive quand une femme se met à saigner, il est l'essentiel de prioriser une approche centrée sur la prévention. C’est pour cela qu’il est important d’introduire de nouveaux médicaments tels que la carbétocine thermostable, pour contourner toutes ces difficultés.

Qu'est ce qui, dans vos expériences professionnelles, vous a donné envie de contribuer à la réduction des hémorragies du post-partum en RDC?

Mes expériences sont basées sur mes différents postes, en tant que gynécologue-obstétricienne et spécialiste en santé publique. J’ai été confrontée à beaucoup de problèmes, surtout des problèmes de gestion de l'accouchement. En tant que gynécologue-obstétricienne ayant pratiqué dans des milieux ruraux et urbains, j'ai travaillé au niveau des hôpitaux généraux de référence où on reçoit des cas qui viennent des centres de santé. Au fil des années, j’ai été témoin de plusieurs cas des complications de la grossesse ou de l’accouchement transférés en retard et des décès maternels causés par l’HPP.

Depuis 2003, j’évolue dans le domaine de santé publique, au niveau de la planification stratégique et opérationnelle pour des interventions à haut impact pour la réduction de la mortalité maternelle et infantile. Ce qui permet d’agir en amont et à large échelles au lieu d'attendre les femmes au niveau des maternités. Nous devons améliorer la santé de la mère et du nouveau-né en apportant des solutions aux causes de décès maternels. Si nous arrivons à réduire les décès causés par l’HPP en introduisant des médicaments pour la prévenir ou la traiter efficacement, nous réussirons à réduire sensiblement le ratio de mortalité maternelle dans notre pays. Dans ce cadre, le pays peut espérer atteindre la cible 3.1 des Objectifs de Développement Durable d’ici 2030.

Pouvez-vous partager vos perspectives sur l'importance de la collaboration croisée, que ce soit avec les sages-femmes, les pharmaciens ou même les leaders communautaires, pour la prévention et le traitement de l’HPP?

La société a surtout des expériences dans le renforcement des capacités des prestataires. Nous sommes en proche collaboration avec les sages-femmes pour la formation d’équipes et pour l’élaboration et mise à jour de normes.

Dans le cadre d’AMPLI-PPHI, nous avons organisé un atelier de plaidoyer pour susciter une adhésion à l'introduction et à l'utilisation de la carbétocine thermostable, l’acide tranexamique et le misoprostol pour une distribution au niveau communautaire. Cet atelier a impliqué des gynécologues, des sages-femmes, des pharmaciens, des leaders communautaires – notamment des associations féminines et des leaders de la société civile dans la santé de la mère, de l'enfant, du nouveau-né et des adolescents. Nous avons eu des pharmaciens pour qu'ils comprennent leur rôle essentiel dans la disponibilité des médicaments. Les acteurs clés du système national de l'approvisionnement en médicaments essentiels devraient, dès le départ, voir comment ils peuvent aider les prestataires à rendre les médicaments disponibles.

Les leaders communautaires sont aussi essentiels parce qu’il y a beaucoup de décès maternels qui se passent dans la communauté. Si les leaders communautaires sont sensibilisés et informés sur les signes de danger de décès maternels ou de l’HPP, ils peuvent alors aider à référer les femmes dans les milieux hospitaliers, et on peut faire une meilleure prise en charge.

Dans notre pays, le système de santé collabore beaucoup avec les communautés. Nous pouvons utiliser les hommes et les femmes qui participent aux réunions stratégiques du système de santé, que nous appelons des « relais communautaires », pour faire les suivis dans la communauté. Surtout quand on va commencer la distribution anticipée du misoprostol, ils ont un rôle à jouer dans le suivi des femmes enceintes qui n'arriveraient pas à accoucher dans un milieu hospitalier. Ils peuvent nous aider à encadrer et soutenir les femmes ayant reçu le misoprostol afin qu’elles puissent l'utiliser.

Quels sont les atouts de votre société nationale pour la défense de la santé maternelle et infantile ainsi que quel est son rôle pour l'amélioration générale de la santé maternelle?

La Société Congolaise de Gynécologie Obstétrique est consciente du rôle essentiel qu'elle joue dans l'amélioration de la santé générale de la femme et de la santé maternelle et infantile. Nous avons des compétences essentielles et nous participons dans un grand nombre d’interventions à haut impact qui aident à améliorer la santé de la mère et de l'enfant. Nous avons un partenariat avec le ministère de la Santé Publique au niveau stratégique et au niveau opérationnel. Au niveau stratégique, notre société est membre du comité technique multisectoriel permanent de la planification familiale, et elle participe à la plateforme de la santé reproductive, maternelle, du nouveau-né, de l’enfant et de l’adolescent.

La SCOGO contribue à l’élaboration et la mise à jour des normes et directives en santé reproductive, maternelle et néonatale conformément aux recommandations de l’OMS, des manuels de formation et des protocoles standard de prise en charge ainsi que des outils de collecte des données, de suivi et d’évaluation. Au niveau de la plupart des maternités, nous formons des prestataires pour qu'ils puissent avoir des aptitudes et des compétences nécessaires pour gérer tous les cas de complication de l'accouchement, et notamment l’HPP. Nous faisons également du mentorat clinique pour en renforcer les compétences requises.

Au-delà de notre travail avec le gouvernement, nous collaborons également avec de certaines agences des Nations Unies, des ONG internationales, des ONGs locales et autres firmes pharmaceutiques sur des thématiques variées telles que les Soins Complets d’avortement Centrés sur la femme, les soins obstétricaux-néonataux d’urgence, et prévention des cancers gynécologiques.

Quelle est l’importance du projet AMPLI-PPHI pour la réduction de l’HPP en RDC?

AMPLI-PPHI est vraiment un projet essentiel. La RDC avait déjà commencé à intégrer les recommandations de l'OMS en les traduisant en normes et directives depuis avril 2022. Mais le projet va soutenir la vulgarisation et l’application de ces normes et directives dans les établissements des soins de santé.

Le projet va faciliter l’introduction et l’utilisation de la carbétocine thermostable et l’acide tranexamique dans les services de maternités, tout en assurant leur disponibilité. Il faudra, dans le futur, également faire un plaidoyer au niveau des décideurs politiques pour voir dans quelle mesure une ligne budgétaire peut être inscrite au niveau budget national pour l'achat de ces deux molécules pour garantir leur disponibilité au terme du projet. Ainsi, le pays ne dépendra pas seulement de partenaires extérieurs.

Nous utilisons déjà le Misoprostol dans nos établissements de soins de santé pour déclencher un travail d’accouchement et pour lutter contre l’HPP. Mais c'est souvent un produit qui est utilisé en milieu hospitalier. Avec le projet AMPLI-PPHI, une approche de distribution anticipée de Misoprostol pour une utilisation dans la communauté va être expérimentée ; ce qui pourrait faire participer les membres de la communauté dans la prévention de l’HPP. Nous pensons que c'est vraiment une bonne idée étant donné les problèmes liés au transport des cas urgents et au retard dans la prise en charge.

Le projet sera en mesure de générer des données probantes et des évidences qui guideront le Ministère de la Santé Publique pour le passage à l’échelle de ces médicaments additionnels pour prévenir et traiter les hémorragies du post-partum et lutter contre cette cause principale de mortalité maternelle dans notre pays.

A propos du projet AMPLI-PPHI

La FIGO travaille en consortium sur le projet Changement Transformationnel pour la Prévention et la Prise en Charge de l'HPP (AMPLI-PPHI pour son nom en anglais), dirigé par Jhpiego et en partenariat avec PATH. Ensemble, nous soutenons directement les ministères de la santé afin de garantir que les bons médicaments contre l'HPP sont disponibles au bon moment, au bon endroit, pour la bonne indication et pour le bon patient dans tous les systèmes de santé, sauvant ainsi la vie de milliers de mères et de nouveau-nés.

Nous travaillons par l'intermédiaire de nos sociétés membres en République démocratique du Congo, en Guinée, en Inde et au Kenya, et nous impliquerons 13 autres sociétés membres ainsi que d'autres États en Inde, afin de partager l'apprentissage et les connaissances générées, en vue d'une diffusion plus large et pour soutenir les efforts en cours en matière de santé publique et au sujet des hémorragies du post-partum.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a également collaboré avec des acteurs clés, dont la FIGO, pour élaborer une feuille de route visant à lutter contre l'hémorragie du post-partum entre 2023 et 2030.